dimanche 30 septembre 2018

KAUFFMANN, Jean-Paul - Remonter la Marne

Remonter à pied la Marne depuis sa confluence avec la Seine jusqu’à la source est une odyssée à travers les odeurs, des paysages encore intacts traversés par une étrange lumière, la rambleur. Villages aux devantures vides, églises fermées, communes démeublées mais nullement moribondes, cette France inconnue se découvre pas à pas. Seule la marche permet un rapport profond au temps, au silence, aux rencontres.
Une géographie imprévue se dessine, l’aventureuse histoire de notre pays, riche en coups de théâtre, s’y révèle à la lumière du présent. Vulnérable, la Marne est depuis toujours la rivière du sursaut. La grâce surabonde dans cette Champagne marquée par le jansénisme.
L’auteur y a découvert la France des conjurateurs, ces indociles qui résistent à la maussaderie des temps présents et conjurent les esprits maléfiques d’aujourd’hui.
Remonter la Marne, ce n’est pas revenir en arrière et pleurer le passé, mais au contraire se perdre, chuter pour mieux renaître.

vendredi 28 septembre 2018

KAWAKAMI, Mieko - Seins et oeufs

La narratrice de ce roman se prénomme Natchan.
Célibataire, elle vit à Tokyo. Au début du livre, sa sœur aînée Makiko, bientôt quarante ans et sa nièce Midoriko à peine treize ans, débarquent chez elle, lui imposent leur présence et plus précisément leurs problèmes. Car Makiko semble avoir profondément changé depuis que son mari l’a quittée.
A Osaka, seule avec sa fille, une obsession s’est peu à peu emparée de tout son être : le projet de modifier son apparence en ayant recours à la chirurgie plastique est devenu pour elle le seul moyen d’aspirer à un bonheur nouveau, d’échapper à la haine de soi.
Effarée par cet état d’esprit, Natchan espère apaiser sa sœur car l’idée même d’envier la poitrine opulente de certaines occidentales lui semble une hérésie. 
De son côté et depuis que sa mère lui a fait part de ce rêve envahissant, la jeune Midoriko ne lui adresse plus la parole ; murée dans le silence, l’adolescente tente de vaincre le dégoût que lui inspire cette folie maternelle.
A Tokyo, pendant que les trois femmes s’observent mutuellement, la métropole japonaise souligne l’anonymat et la solitude de chacune.
S’instaure alors un mode d’écoute et d’attention plus neutre, peut-être plus sensible : dans le tout petit appartement de Natchan, le poids des fantasmes de chacune, personnalité et génération confondues, s’allège lentement. 

Ce livre percutant et provocant sur les dérives de la féminité est écrit par une Japonaise de trente-cinq ans, diplômée de philosophie, musicienne, actrice et romancière, élue “Femme de l’année 2008” par le magazine Vogue Japan.
Un sujet peu développé dans la littérature japonaise où le fantasme de la féminité, ses dérives et ses excès s’effacent derrière l’image donnée d’une sensualité extrême, d’une conscience du corps silencieuse, voire spirituelle.

Un livre d’une justesse de ton incontestable, qui explique son succès au Japon.

mercredi 26 septembre 2018

GAUDE, Laurent - Cris

Ils se nomment Marius, Boris, Ripoll, Rénier, Barboni ou M’Bossolo. Dans les tranchées où ils se terrent, dans les boyaux d’où ils s’élancent selon le flux et le reflux des assauts, ils partagent l’insoutenable fraternité de la guerre de 1914. Loin devant eux, un gazé agonise. Plus loin encore retentit l’horrible cri de ce soldat fou qu’ils imaginent perdu entre les deux lignes du front : "l’homme-cochon". A l’arrière, Jules, le permissionnaire, s’éloigne vers la vie normale, mais les voix des compagnons d’armes le poursuivent avec acharnement. Elles s’élèvent comme un chant, comme un mémorial de douleur et de tragique solidarité, prenant en charge collectivement une narration incantatoire, qui nous plonge, nous aussi, dans l’immédiate instantanéité des combats, avec une densité sonore et une véracité saisissantes.

lundi 24 septembre 2018

FERRARI, Jérome : Le sermon sur la chute de Rome

Dans un village corse perché loin de la côte, le bar local est en train de Connaître une mutation profonde sous l'impulsion de ses nouveaux gérants. À la surprise générale, ces deux enfants du pays ont tourné le dos à de prometteuses études de philosophie sur le continent pour, fidèles aux enseignements de Leibniz, transformer un modeste débit de boissons en "meilleur des mondes possibles". Mais c'est bientôt l'enfer en personne qui s'invite au comptoir, réactivant des blessures très anciennes ou conviant à d'irréversibles profanations des êtres assujettis à des rêves indigents de bonheur, et victimes, à leur insu, de la tragique propension de l'âme humaine à se corrompre.
Entrant, par-delà les siècles, en résonance avec le sermon par lequel Saint Augustin tenta, à Hippone, de consoler ses fidèles de la fragilité des royaumes terrestres, Jérôme Ferrari jette, au fil d'une écriture somptueuse d'exigence, une lumière impitoyable sur la malédiction qui condamne les hommes à voir s'effondrer les mondes qu'ils édifient et à accomplir, ici-bas, leur part d'échec en refondant Sans trêve, Sur le sang ou les larmes, leurs impossibles mythologies.

dimanche 23 septembre 2018

OGAWA, Yoko - Jeune fille à l'ouvrage

L’oeuvre de Yôko Ogawa est depuis toujours composée d’une alternance de romans et de nouvelles, comme si la forme courte demeurait pour elle, au fi l de son parcours, une chambre noire, et plus encore la note sensible de sa partition. Ainsi les lecteurs familiers de son univers retrouveront-ils ici les thèmes qui lui sont chers : le monde secret de transmission et de confi ance que les enfants partagent avec les vieillards. Les vibrations des mélodies n’existant que par-delà le silence, l’hyperacousie des êtres fragiles, l’eff acement d’un temps que seul l’amoncellement d’objets semble pouvoir réanimer. L’attirance gourmande et dangereuse pour les aliments sucrés, la présence rassurante des animaux, la mort annoncée telle une avancée paisible.
Les personnages de Yôko Ogawa sont des coureurs de fond comme cette femme qui s’entraîne la nuit, trébuche et tombe. Dans cette nouvelle intitulée L’Autopsie de la girafe, une silhouette timide s’avance pour lui porter secours, une fi gure de silence qui dès lors ne quittera plus jamais les imaginaires d’Ogawa.

mercredi 19 septembre 2018

ISHIGURO, Kazuo - Les vestiges du jour

" Les grands majordomes sont grands parce qu'ils ont la capacité d'habiter leur rôle professionnel, et de l'habiter autant que faire se peut ; ils ne se laissent pas ébranler par les événements extérieurs, fussent-ils surprenants, alarmants ou offensants. Ils portent leur professionnalisme comme un homme bien élevé porte son costume. C'est, je l'ai dit, une question de "dignité". " Stevens a passé sa vie à servir les autres, majordome pendant les années 1930 de l'influent Lord Darlington puis d'un riche Américain. Les temps ont changé et il n'est plus certain de satisfaire son employeur. Jusqu'à ce qu'il parte en voyage vers Miss Kenton, l'ancienne gouvernante qu'il aurait pu aimer, et songe face à la campagne anglaise au sens de sa loyauté et de ses choix passés...

HALL, Louisa - Trinity

15 juillet 1945, Los Alamos, Nouveau-Mexique. Robert Oppenheimer, brillant scientifique et créateur de la bombe atomique, compte les heures,...